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Analyse | Faire du Manitoba une province « véritablement bilingue », ça veut dire quoi? |RADIO-CANADA|

Prenez note que cet article ne fait plus l’objet de mise à jour et pourrait contenir des informations désuètes.

RADIO-CANADA – Thibault Jourdan, publié le 20 novembre 2023

Wab Kinew a demandé à son ministre des Affaires francophones de faire du Manitoba une province « véritablement bilingue ». À la veille de la reprise parlementaire, cette tâche s’annonce autant vague qu’ardue.

En ce moment, seul le Nouveau-Brunswick est une province sur le plan constitutionnel, intégralement bilingue, rappelle François Larocque, professeur de droit à l’Université d’Ottawa.
PHOTO : RADIO-CANADA

Dans la lettre de mandat qu’il a adressée à son ministre du Sport, de la Culture et du Patrimoine et responsable des Affaires francophones Glen Simard, Wab Kinew lui donne comme troisième objectif de reconnaître le rôle fondateur de la communauté francophone de notre province, protéger ses droits et améliorer l’accès à l’éducation, aux soins et aux services en langue française afin que nous soyons véritablement une province bilingue.

En ce moment, seul le Nouveau-Brunswick est une province sur le plan constitutionnel, intégralement bilingue, rappelle François Larocque, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques à l’Université d’Ottawa.

Le Manitoba a des obligations constitutionnelles sur le plan linguistique en matière législative et en matière judiciaire, mais la loi, au Manitoba, ne garantit pas la prestation de services et des communications dans les deux langues, poursuit-il.

À l’heure actuelle, les services doivent être légalement offerts en français uniquement dans les régions désignées bilingues dans la province.

Enchâsser dans la constitution, une solution?

La formulation vague de la lettre de mandat de Glen Simard laisse cependant place à toute sorte d’interprétation. Selon François Larocque, une lecture optimiste pourrait voir, dans le mandat du ministre Simard, l’ouverture [du gouvernement] d’explorer la possibilité de modifier la constitution pour préserver les droits des francophones.

Une telle démarche est relativement simple, puisqu’il suffirait d’une entente entre Ottawa et Winnipeg. L’exemple du Nouveau-Brunswick nous démontre que tout ce que ça prendrait, c’est une entente bilatérale entre le parlement [fédéral] et la législature du Manitoba. Il s’agit donc d’une résolution prise par consensus bilatéral entre la législature du Manitoba et le Parlement. C’est l’article 43 de la loi constitutionnelle de 1982 qui prévoit cette formule d’amendement constitutionnel, poursuit-il.

De son côté, Frédéric Boily, professeur de science politique au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, estime que la lettre fixe un objectif ambitieuxFaire d’une province de l’ouest une province vraiment bilingue, malgré l’ancrage historique des francophones au Manitoba, qui sont un groupe fondateur, peut-être, mais pas un groupe dominant non plus, c’est très ambitieux, estime-t-il.

Par ailleurs, il relève que la lettre mentionne l’objectif d’améliorer les services, mais il pointe le fait qu’on n’est pas obligé pour ça de dire que le Manitoba doit devenir une province vraiment bilingue.

Risque politique

En réalité, le problème sous-jacent qui se cache derrière l’utilisation des termes véritablement bilingue dans la lettre de mandat est qu’ils peuvent créer des espoirs et des attentes tellement élevées qu’on est pratiquement certains qu’on n’arrivera pas à les atteindre, analyse Frédéric Boily.

Je ne crois pas que ça soit vraiment réaliste dans un mandat de 4 ans. Si vraiment on voulait réaliser cet objectif-là, il faudrait déjà se donner un horizon temporel plus long parce qu’on ne peut pas changer une dynamique qui s’est installée depuis des décennies en seulement un mandat.

Une citation de Frédéric Boily, professeur de science politique au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta

De cela découle un fort risque politique pour le nouveau gouvernement néo-démocrate de susciter déception et mécontentement au sein d’une partie des électeurs. C’est quelque chose qui peut se retourner contre le gouvernement lorsque viendra la prochaine élection, prévient M. Boily. C’est une lourde responsabilité [qui repose] sur les épaules du ministre.

Glen Simard reste prudent

En entrevue avec Radio-Canada, le nouveau ministre responsable des Affaires francophones, Glen Simard, joue la prudence quand il s’agit de préciser ce que signifie l’ordre indiqué dans sa lettre de mandat.

Pour lui, l’élément essentiel est l’offre de service dans les deux langues officielles : il s’agit, [qu’on soit] anglophone ou francophone, [de pouvoir] trouver les services [gouvernementaux dont on a] besoin en français, affirme-t-il.

Mais lorsqu’on lui demande si faire du Manitoba une province véritablement bilingue implique d’aller plus loin et de potentiellement modifier la constitution canadienne, il déclare laconiquement : En ce moment, je ne peux rien répondre [par rapport à] cela.

Du côté de la Société de la francophonie manitobaine, on ne s’oriente pas vers une telle demande. Son vice-président, Derek Bentley, voit dans la volonté du gouvernement de faire du Manitoba une province véritablement bilingue une incitation à rêver où on veut être dans 5 ans, dans 10 ans, dans 20 ans et de commencer à mettre des choses en place [qui ne sont pas juste] temporaires mais qui sont aussi protégées.

Le gouvernement pourrait donner quelques éléments de réponses quant à ses intentions envers la francophonie dans son premier discours du Trône, qui sera prononcé mardi.

Avec des informations de Mario De Ciccio

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