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De Monckton à Moncton : les origines d’un nom qui dérange au Nouveau-Brunswick |RADIO-CANADA|

Prenez note que cet article ne fait plus l’objet de mise à jour et pourrait contenir des informations désuètes.

RADIO-CANADA – Frédéric Cammarano et Nadia Gaudreau, publié le 8 avril 2023

Le débat sur le nom de l’Université de Moncton divise les Acadiens du Nouveau-Brunswick. Une pétition de plus de 1400 noms demande un changement de nom pour cet établissement, mais d’autres pensent qu’il s’agirait d’une erreur. Mais qui était donc le colonel britannique Robert Monckton et pourquoi devrait-on revoir son héritage?

Un portrait de Robert Monckton (1726-1782) peint par Thomas Hudson.
PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA, DROITS D’AUTEUR PÉRIMÉS

Le débat sur le nom de l’Université de Moncton divise les Acadiens du Nouveau-Brunswick. Une pétition de plus de 1400 noms demande un changement de nom pour cet établissement, mais d’autres pensent qu’il s’agirait d’une erreur. Mais qui était donc le colonel britannique Robert Monckton et pourquoi devrait-on revoir son héritage?

Plusieurs Acadiens qui appuient un tel changement soulignent que ce haut gradé britannique né en 1726 dans le Yorkshire a joué un rôle important dans la déportation des Acadiens, une raison à leurs yeux suffisante pour exiger un changement de nom de cet établissement d’enseignement postsecondaire.

Selon Maurice Basque, historien et conseiller scientifique à l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton, le lien de cet officier avec la déportation précède l’événement historique lui-même. En 1755, les Britanniques n’ont remporté aucune victoire militaire en Amérique du Nord contre les Français, sauf celle des troupes de Robert Monckton.

En effet, elles ont réussi à capturer le Fort Beauséjour, qui se trouve aujourd’hui à Aulac, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Plusieurs Acadiens ont été forcés de combattre aux côtés des Français, une pratique relativement courante, selon l’historien.

Vue aérienne du Fort Beauséjour.
Le Fort Beauséjour situé à Aulac, au Nouveau-Brunswick.
PHOTO : RADIO-CANADA

Robert Monckton décide de pardonner aux Acadiens.

C’était surtout une stratégie pour éviter que les autres Acadiens prennent les armes ou qu’ils fuient vers la vallée du Saint-Laurent. Il était fin stratège, explique Maurice Basque.

« Il ne voulait pas pousser les Acadiens à une certaine limite [parce qu’ils] se seraient vraiment battus avec une énergie du désespoir. »— Une citation de  Maurice Basque, historien et conseiller scientifique à l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton

Ordre de déportation

Charles Lawrence, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse et supérieur de Robert Monckton, ne tolère pas l’idée d’accorder un pardon aux Acadiens armés lors de la conquête du Fort Beauséjour. Il annule donc la décision de son lieutenant-colonel.

Il a dit : « Voici. C’est ce que j’ai toujours dit. On ne peut pas leur faire confiance. Regardez, ils avaient des armes et ils se sont battus contre nous », raconte Maurice Basque.

La reconnaissance éventuelle de la déportation de 1755 comme génocide ne fait pas l'unanimité en Acadie.
Une image tirée de la série « Le Canada – Une histoire populaire » pour illustrer la déportation des Acadiens en 1755.
PHOTO : RADIO-CANADA

Quelques semaines plus tard, Charles Lawrence ordonne la déportation des Acadiens. Et il se tourne vers Robert Monckton pour exécuter ses ordres.

Robert Monckton, sans le défendre, ce n’est pas celui qui a créé, orchestré le Grand Dérangement. Il a été un des officiers britanniques les plus habiles, les plus rusés, souligne l’historien.

Crimes contre les Acadiens

Il reste que c’est Robert Monckton qui supervise l’expulsion des Acadiens, qui débute le 28 juillet 1755, d’abord dans la région de l’isthme de Chignectou, ensuite dans celles de Memramcook et de Chipoudie, puis dans la région de Petcoudiac, qui comprend le territoire où se trouvent aujourd’hui les municipalités de Moncton et de Dieppe.

Les troupes de Robert Monckton brûlent des bâtiments des Acadiens pour les faire fuir.

Le lieutenant-colonel Robert Monckton.
Robert Monckton a capturé le Fort Beauséjour, supervisé la déportation des Acadiens et participé à la victoire britannique lors de la bataille des plaines d’Abraham, à Québec.
PHOTO : COURTOISIE/CENTRE D’ÉTUDES ACADIENNES ANSELME-CHIASSON

En 1758, Robert Monckton, devenu lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, supervise toujours le processus de déportation, notamment une opération près du fleuve Saint-Jean, à Sainte-Anne-des-Pays-Bas, soit la région de Fredericton aujourd’hui.

Ses troupes comprennent des groupes de mercenaires de la Nouvelle-Angleterre, qui se montrent souvent plus durs à l’endroit des Acadiens et sur qui Robert Monckton a moins de contrôle que sur ses propres soldats.

L’historien raconte par exemple que dans la région de Sainte-Anne-des-Pays-Bas, les hommes acadiens ont fui dans la forêt. Ces mercenaires ont alors torturé et tué les femmes pour faire revenir les hommes.

Un dessin montre le début du Grand Dérangement en 1755.
En 1755, les troupes britanniques ont imposé l’exil aux Acadiens.
PHOTO : GETTY IMAGES / HULTON ARCHIVE

Un nouveau township appelé Monckton

Après avoir supervisé la déportation, Robert Monckton se rend à Québec pour prêter main-forte au général James Wolfe lors de la bataille des plaines d’Abraham.

Sa victoire au Fort Beauséjour lui vaut l’honneur de voir son nom, de son vivant, être donné à un nouveau township du sud-est du Nouveau-Brunswick. Le k disparaîtra 100 ans plus tard lors de l’incorporation de la Ville de Moncton.

Le débat sur l’origine de la ville de Moncton a refait surface à quelques occasions dans l’histoire.

Le palais de justice et la tour Assomption Vie à Moncton.
La tour de l’Assomption Vie à Moncton est un symbole de la vitalité de la communauté acadienne depuis son inauguration, en 1972.
PHOTO : RADIO-CANADA / GUY LEBLANC

Maurice Basque raconte qu’en 1930, le conseil municipal de Moncton a voté pour rétablir le k dans le nom officiel de la ville, ce qui a soulevé un tollé en raison des coûts administratifs qu’un changement de nom entraîne.

Une université acadienne à Moncton

Au début des années 1960, le projet d’une grande université acadienne avançait bien. Les cofondateurs de cet établissement universitaire, Louis J. Robichaud et le père Clément Cormier, sont de fiers Acadiens.

Surtout Clément Cormier, [qui] voyait depuis longtemps Moncton comme le centre nerveux de l’Acadie, souligne Maurice Basque.

Trois hommes regardent l'Université de Moncton en construction.
L’Université de Moncton en construction dans les années 1960.
PHOTO : CENTRE D’ÉTUDES ACADIENNES ANSELME-CHIASSON DE L’UNIVERSITÉ DE MONCTON

Pour le père Cormier, donner à l’université le nom de la ville était un signe de modernité. De plus, le terme Acadie était déjà utilisé par l’Université Acadia.

« Il ne faut jamais dire que Clément Cormier et Louis Robichaud ont nommé l’université d’après Robert Monckton mais [bien d’après] la ville et ce qu’elle représentait pour les Acadiens. »— Une citation de  Maurice Basque, historien et conseiller scientifique à l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton

Maurice Basque dans un studio de radio devant un micro.
Maurice Basque est historien et conseiller scientifique à l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton.
PHOTO : RADIO-CANADA / EMMANUELLE ROBINSON

Mouvement pour renommer l’Université de Moncton

Le débat sur le nom de cette université n’est pas nouveau. Dans les années 1970, on l’a relancé à trois reprises. En 1990, le recteur de l’époque, Jean-Bernard Robichaud, avait même proposé un nouveau nom dans un mémoire, mais une levée de boucliers de l’élite acadienne du sud-est du Nouveau-Brunswick a tué le projet dans l’œuf.

Le décès de Louis J. Robichaud en 2005 a aussi relancé cette question dans l’actualité. Aucun de ces efforts n’a porté fruit.

En février dernier, le militant acadien Jean-Marie Nadeau a relancé le mouvement pour renommer l’établissement. Il qualifie Robert Monckton d’oppresseur en chef.

Jean-Marie Nadeau debout dehors l'hiver devant l'enseigne de l'Université de Moncton sur le campus de Moncton.
Jean-Marie Nadeau le 9 février 2023 à Moncton.
PHOTO : RADIO-CANADA / FRÉDÉRIC CAMMARANO

Son idée gagne du terrain depuis lors. Plus de 1400 personnes ont signé une pétition en faveur de ce changement de nom. Les chefs des Premières Nations mi’kmaw du Nouveau-Brunswick ont appuyé le mouvement. De nombreuses municipalités se sont prononcées en faveur du changement, y compris Shippagan, qui héberge un campus de l’université. Toutefois, la Ville de Moncton reste coite dans ce dossier.

Un groupe d’Acadiens influents a aussi signé une lettre contre le changement de nom. Parmi les signataires, on trouve l’ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache, l’ancienne ministre Aldéa Landry et le politologue Donald J. Savoie.

Les signataires avancent que le fait de changer le nom de l’établissement reviendrait à ne pas respecter la volonté des fondateurs.

De leur côté, ceux qui poussent pour un changement arguent que les mentalités ont changé et qu’il n’est pas impossible de changer le nom d’un établissement universitaire en raison du passé, citant l’exemple de l’Université Ryerson.

Le recteur actuel de l’Université de Moncton, Denis Prud’homme, a récemment indiqué que la question sera abordée lors de la prochaine réunion du conseil des gouverneurs, prévue le 15 avril.

Toutefois, comme le résume Maurice Basque : C’est une question très compliquée.

Avec les informations de Margaud Castadère

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